« The Phoenician Scheme » : un thriller familial excentrique tissé d’une odyssée


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Wes Anderson signe un film qui marie avec brio l’élégance d’un thriller d’espionnage à la tendresse d’une comédie parentale, le tout enveloppé dans son esthétique inimitable. Ce dernier opus, d’une richesse visuelle et narrative éblouissante, nous embarque dans une odyssée mondiale où l’enjeu n’est pas seulement financier, mais profondément humain : la rédemption d’un père face à sa fille.

Au cœur de l’intrigue, Zsa-Zsa Korda, incarné par un Benicio Del Toro magnétique, est un magnat de la finance, un homme d’affaires impitoyable dont l’empire tentaculaire repose sur une ambition dévorante. Inspiré par des figures historiques comme le millionnaire arménien Calouste Gulbenkian, Aristote Onassis ou encore William Hearst, Zsa-Zsa est, selon les mots d’Anderson, « un homme qui pivote sans cesse, libéré de toute obligation envers la vérité, et qui se sent autorisé – voire contraint – à prendre des décisions bouleversant la vie de populations entières ». Écrit sur mesure pour Del Toro, ce personnage omniprésent occupe chaque plan du film.

L’histoire suit Zsa-Zsa dans une quête pour renouer avec sa fille Liesl (Mia Threapleton), dont il a été séparé. Devenue religieuse, Liesl est un contraste saisissant avec son père : introspective, spirituelle, elle incarne une humanité que Zsa-Zsa semble avoir perdue. Leur périple, accompagné par Bjorn (Michael Cera), un tuteur timide et passionné d’entomologie au charme busterkeatonien, les entraîne dans une aventure trépidante à travers le monde :  complots industriels et intrigues d’espionnage se mêlent à des moments d’intimité familiale.

Le casting, comme toujours chez Anderson, est une constellation de talents. Outre Del Toro, Cera et Threapleton, on retrouve Riz Ahmed, Tom Hanks, Bryan Cranston, Mathieu Amalric, Jeffrey Wright et Scarlett Johansson, tous impeccables dans des rôles ciselés. Richard Ayoade brille en combattant de la liberté affable, Benedict Cumberbatch intrigue en demi-frère énigmatique de Zsa-Zsa, Nubar, tandis que Rupert Friend incarne un agent secret surnommé « Excalibur » et Hope Davis campe une mère supérieure aussi austère qu’émouvante. Chaque personnage, fidèle à l’écriture d’Anderson, se révèle comme un réceptacle d’émotions et d’histoires, se remplissant au fil d’une intrigue aussi dense que poétique.

Si Le schéma phénicien flirte avec le film d’action – les dialogues fusent comme des balles, les scènes s’enchaînent dans un tourbillon de décors somptueux –, il ne perd jamais de vue son cœur battant : la reconstruction d’un lien père-fille.

Zsa-Zsa, qui avoue dans une séquence mémorable avoir « renoncé à ses droits humains », entreprend ce voyage non pour consolider son empire, mais pour prouver qu’il est encore capable d’aimer.

Ce film est un régal : chaque plan, méticuleusement composé, évoque un tableau vivant où les couleurs vives et les détails maniaques caractéristiques d’Anderson s’entrelacent avec une énergie nouvelle, presque chaotique.

Le « désert Wes-Andersonien » – ces paysages stylisés où l’excentricité côtoie la mélancolie – est ici paradoxalement foisonnant, rempli de personnages hauts en couleur et de situations rocambolesques!

En reléguant au second plan les intrigues financières et les machinations industrielles, Anderson recentre son propos sur l’essentiel : l’amour filial, capable de transformer un requin de la finance en un hippocampe bienveillant. Le schéma phénicien est une fable moderne, un périple à la fois drôle, poignant et trépidant, qui rappelle que même les empires les plus vastes ne valent rien sans l’essentiel.