

Dans Springsteen. Deliver Me From Nowhere, un film biographique pas comme les autres, Scott Cooper zoome sur une période sombre de la vie du rockeur : un moment précis d’élaboration artistique. Dans cette veine, citons Un parfait inconnu (James Mangold), qui attrape Bob Dylan en pleine bascule électrique, ou encore Nouvelle vague de Richard Linklater, narrant dans le détail le tournage d’À bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard.

Springsteen. Deliver Me From Nowhere se concentre sur l’élaboration de l’album Nebraska (1982), conçu alors même que l’artiste se débattait avec une profonde dépression. L’acteur Jeremy Allen White a lui-même enregistré les chansons de Bruce Springsteen qu’il interprète, et sa voix ressemble assez à celle du légendaire performeur. En se focalisant sur cette période charnière de la vie de Springsteen – la création en 1981 et 1982 de l’austère album Nebraska –, le réalisateur de Cœur fou parvient à traduire pour le grand écran les mécanismes tortueux d’un processus créatif, mais aussi le monde intérieur du Boss.

Si Nebraska n’a rien d’un disque autobiographique, le musicien y a pourtant canalisé toute la souffrance d’une enfance passée dans la crainte des éclats d’un père alcoolique et bipolaire. Springsteen. Deliver Me From Nowhere (en version française : Springsteen : Délivrez-moi de nulle part) contient donc (au moins) trois films en un : celui de la relation de Bruce avec son paternel ; celui de l’enregistrement d’un album au succès improbable, avec dans le rôle de Jon Landau, imprésario de Springsteen (alias Jeremy Strong, le représentant de tous les fans du Boss), qui croit en lui de manière indéfectible ; et celui d’une romance avec Odessa Young, serveuse philosophe dans un dîner !


C’est le portrait d’un homme à qui tout réussit, mais chez qui aucun triomphe n’apaise la douleur d’avoir été mal aimé…
Pourtant, on y compte aussi l’admiration profonde vouée par Bruce Springsteen à Flannery O’Connor.
Sur une table basse, parmi d’autres objets, la caméra du cinéaste passe d’abord fugacement sur un exemplaire des Œuvres complètes de celle qui resta longtemps dans l’ombre de Faulkner. Elle fut cette écrivaine du Sud des États-Unis à la vie aussi courte que ses écrits furent marquants, lesquels exercèrent notamment une influence considérable sur le Boss à l’époque où, dépressif, il composait les mélodies et les textes.

C’est à la genèse de ce chef-d’œuvre acoustique et narratif que s’attache le film de Scott Cooper.
Les fans du chanteur le savent, ceux de Flannery O’Connor peut-être pas : le troisième album de Bruce Springsteen (1975), comme ses mémoires (Albin Michel, 2016), s’intitule Born to Run — littéralement : « né pour s’enfuir ».

« Springsteen : Délivre-moi de nulle part » brosse en effet le portrait d’un homme qui prend la tangente.

