

Après le triomphe de Pauvres Créatures, Emma Stone et Yórgos Lánthimos se retrouvent pour Bugonia, leur quatrième collaboration. Certains détracteurs du cinéaste grec ont toujours rechigné à défendre son cinéma, qu’ils jugent trop esthétisant et auto complaisant. Ils semblent oublier qu’en dix ans, Lánthimos a réalisé six films – passant depuis Pauvres Créatures (2023) à un rythme d’un par an –, récolté cinq nominations aux Oscars, remporté des prix à Cannes, aux BAFTA… Un cinéaste prolifique, célébré pour l’originalité de son regard et sa capacité à naviguer entre les genres tout en plaçant l’humain, ses failles et ses obsessions, au cœur de ses récits. Avec Bugonia, remake déjanté du culte Sauvez la planète verte ! (2003) de Jang Joon-hwan, Lánthimos s’empare d’un pitch absurde et le transforme en terrain de jeu idéal : un thriller gore mâtiné d’humour noir et de complotisme délirant. Tout y est déjà : la lutte des classes, l’isolement social, la quête d’identité, les dynamiques de pouvoir, la mutation des corps, l’emprise, le libre arbitre… Tous ses grands thèmes sont là, portés à incandescence.

Teddy Gatz (Jesse Plemons), petit employé chez Big Pharma, et son cousin un peu benêt Don (Aidan Delbis) en sont intimement persuadés : Michelle Fuller (Emma Stone), la PDG froide et charismatique de l’entreprise, est une extraterrestre. Sa mission ? Détraquer le climat, exterminer les abeilles, préparer la colonisation de la Terre. Pour la stopper, les deux hommes la kidnappent et la séquestrent dans une maison isolée.
Commence alors un huis clos hystérique et brutal, nourri aux théories du dark web, où les affrontements psychologiques et physiques se succèdent.Car dans Bugonia, deux mondes s’opposent radicalement : celui des ultra-riches, qui semblent effectivement vivre sur une autre planète, et celui des laissés-pour-compte, englués dans leurs peurs et leurs fantasmes paranoïaques.

Lánthimos excelle à montrer cette fracture, avec une ironie cruelle et une tendresse tordue pour ses personnages. Emma Stone, glaçante et magnétique, incarne une Michelle Fuller à la fois terrifiante et fascinante : sourire carnassier, bienveillance calculée, autorité absolue. Face à elle, Jesse Plemons, parfait en loser convaincu d’avoir percé le grand secret du monde.



Il faut faire vite : une éclipse lunaire approche. Teddy est certain que l’« alien » profitera de l’événement pour regagner Andromède et son empereur… et rêve, lui, d’être du voyage. Porté par des dialogues ciselés, des éclats de gore jubilatoires et des plans finaux d’une beauté sidérante, Bugonia est une farce macabre qui désarçonne et enchante. Emma Stone y repousse toutes les limites – physiques, comiques, dramatiques – et livre une performance dont peu d’actrices hollywoodiennes de son rang seraient capables.
C’est jouissif, dérangeant, souvent hilarant. Et puis il y a le titre : Bugonia vient du latin : « bos » (bœuf) et « gonia » (naissance). Dans les Géorgiques de Virgile, on raconte qu’on peut faire naître des abeilles de la carcasse putréfiée d’un bœuf. De la mort naît la vie, de la pourriture un essaim nouveau. Une image bucolique et macabre à la foisqui résonne étrangement avec ce film où le chaos, la folie et la violence finissent par accoucher d’autre chose.
Lánthimos, nous balade au bord du précipice et nous fait rire en tombant !


