

Après Spectateurs !, dévoilé en début d’année 2025, le talentueux cinéaste français Arnaud Desplechin signe un retour éclatant avec Deux Pianos, un film romanesque porté par un duo magnétique : François Civil et Nadia Tereszkiewicz.

Peu de cinéastes osent rivaliser avec l’ampleur narrative d’un roman, explorant de nouvelles formes pour tisser des récits ambitieux. Dans Deux Pianos, le réalisateur relève ce défi. Mathias, pianiste classique, croise par hasard son amour de jeunesse, désormais mère d’un garçon qui lui ressemble étrangement. Son cœur chavire. Le nôtre aussi.
À la croisée d’un conte yiddish, d’un mélodrame romantique et d’un drame musical où les œuvres de Jean-Sébastien Bach tiennent lieu de chansons, Deux Pianos entrelace plusieurs récits et genres avec audace. Le film explore la vie d’un musicien, de la discipline couronnée de succès à l’incertitude, tout en racontant un amour contrarié et des retrouvailles complexes, marquées par le poids du passé.

Mathias (François Civil), dont la carrière de pianiste classique au Japon appartient désormais au passé, revient à Lyon, sa ville natale. Là, son ancienne professeure, Elena (Charlotte Rampling), le sollicite pour une série de concerts à ses côtés. Mais, comme l’indique le titre, Deux Pianos s’organise autour de deux figures féminines clés, et non autour de Mathias, malgré son charisme tourmenté et envoûtant.
Elena, mentor autoritaire et fascinante, et Claude l’ancienne amante qui lui a brisé le cœur en épousant son meilleur ami, incarnent ces deux pôles. Le destin s’amuse : à peine rentré en France, Mathias croise un enfant qui pourrait être son double, ravivant des blessures anciennes…L’originalité du film réside dans sa structure, rythmée par deux cadences qui lui confèrent une aura d’étrangeté, presque fantastique.

La première, portée par la figure d’Elena – dont le nom évoque la tragédie grecque, sans le « H » d’Hélène mais avec une puissance homérique –, agit comme une force de fatalité, ramenant le héros exilé vers ses origines. La seconde cadence, plus introspective, plonge dans la psyché complexe de Mathias, ballotté entre passé et présent, entre son ancienne amante et l’enfant qui trouble son existence. François Civil excelle dans une passivité magnétique, porté par les courants contraires des deux femmes. Elena veut faire de lui son successeur, indifférente à ses aspirations profondes. Claude, quant à elle, oscille entre le désir de retrouver Mathias et le rejet de ce qu’il représente.

Tous fuient une réalité – la vieillesse, la paternité, le deuil, la culpabilité – mais se retrouvent confrontés à un combat intérieur captivant. Une question les hante : quel a été le prix de leur liberté ? Deux Pianos est une œuvre audacieuse, où la musique, l’amour et la fatalité s’entrelacent pour composer une symphonie intime et bouleversante. A. Desplechin signe ici un film qui vibre d’émotion et d’élégance, confirmant son talent pour orchestrer les passions humaines.