« Eddington », le western à l’ère du Covid


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Reconnu dans le monde du septième art comme « le sauveur du cinéma horrifique », Ari Aster revient en salles ce mercredi avec Eddington, porté par un casting prestigieux réunissant Pedro Pascal, Emma Stone, Joaquin Phoenix et Austin Butler

Ce western ancré dans l’ère du Covid nous transporte au Nouveau-Mexique, où un shérif antivax, Joe Cross (Joaquin Phoenix), s’oppose au maire progressiste de sa ville, Ted Garcia (Pedro Pascal), face à la pandémie de coronavirus. Ce conflit, qui attise la colère des habitants, révèle les fractures idéologiques d’une communauté en crise. Conçu dès les débuts de la carrière d’Ari Aster mais longtemps relégué au second plan, ce projet renaît sous une forme inattendue. Loin de se contenter d’un simple changement de décor, le réalisateur élargit sa palette formelle et explore, sous un angle inédit, son thème de prédilection : le traumatisme et sa transmission intergénérationnelle.

 À la croisée des genres et des tensions sociales, ce western moderne puise dans les plaies béantes de l’Amérique contemporaine une matière incandescente. La petite ville fictive d’Eddington devient le théâtre d’un affrontement brûlant entre deux figures antithétiques : le shérif conservateur Joe Cross et le maire Ted Garcia, déterminé à moderniser sa commune par l’implantation d’un centre de données spécialisé en intelligence artificielle. En toile de fond, la crise du Covid exacerbe une fracture sanitaire qui reflète une division idéologique plus profonde. Pouvoir, territoire, justice, identité : les grands thèmes du mythe américain s’incarnent dans ce huis clos à ciel ouvert, où le duel symbolique entre shérif et maire devient le miroir d’un pays en quête de repères.

Transposer le western dans une Amérique façonnée par les réseaux sociaux est un pari audacieux. Pourtant, Eddington le relève avec brio en s’appropriant les codes du genre : musique aux accents morriconiens, chapeaux de cow-boys, silences lourds de tension, plans d’ensemble sur des paysages baignés de soleil écrasant. Le film atteint un sommet d’audace dans une scène mémorable où un échange passif-agressif entre les deux protagonistes se déroule sur fond de « Firework » de Katy Perry, un moment de tension burlesque qui encapsule la tonalité singulière de l’œuvre.

Comme dans ses précédents longs-métrages, Ari Aster orchestre cette fresque satirique avec une maîtrise formelle impressionnante. La mise en scène évolue au fil du récit, glissant subtilement du western moderne vers un thriller paranoïaque aux accents d’enquête policière. Personne n’est épargné dans ce jeu de massacre. Si les conservateurs les plus fervents sont clairement dépeints comme les antagonistes, le regard d’Aster, teinté d’un cynisme misanthrope, peut déranger : il semble suggérer que tous, quel que soit leur camp ou leur génération, ont leur part de torts.